Les Filles d'Avril |
Baby blues Valeria à dix-sept ans et est enceinte. Elle vit à Puerto Vallarta avec Clara, sa sœur de trente-quatre ans. Valeria ne voulait pas que leur mère, souvent absente, soit au courant de sa grossesse mais à cause du coût et de la responsabilité qu'un enfant représente, Clara décide de l'appeler. Avril s’installe, apparemment désireuse d'aider ses filles, mais avec l’arrivée du bébé son comportement change et les réticences de Valeria à lui demander de l’aide se justifient de plus en plus... Après le stupéfiant Después de Lucia et l'envoûtant Chronic, Michel Franco réussit un autre récit familial choc, qui commence comme une chronique de mœurs sociologique et dévie peu à peu sur la pente du suspense psychologique, à la frontière du thriller. Sans dévoiler davantage l'intrigue, précisons que rarement les rapports mère/fille n'ont été dépeints avec autant de cruauté et de noirceur. Les Filles d'Avril s'inscrit ici dans la lignée des modèles du genre, à savoir Le Roman de Mildred Pierce (Michael Curtiz, 1945), Mirage de la vie (Douglas Sirk, 1959), Sonate d'automne (Ingmar Bergman, 1978), ou Talons aiguilles (Pedro Almodovar, 1991). Le traitement de la sexualité adolescente n'avait jamais été aussi percutant depuis les films de Larry Clark ou Jeune & jolie (François Ozon, 2013). Et le spectateur ne s'était pas fait autant de souci sur le sort d'un bébé depuis L'Innocent (Luchino Visconti, 1976), Trainspotting (Danny Boyle, 1996), ou L'Enfant (les frères Dardenne, 2005). Ces références précisées, Les Filles d'Avril n'en demeure pas moins un bel objet filmique personnel, porté par un scénario hitchcockien d'une efficacité redoutable, tout en gardant des zones d'ombre et refusant l'esbroufe autant que le retournement de situation gratuit. Et l'on ne peut être qu'admiratif face à une mise en scène d'une sobriété louable, privilégiant plans fixes et ne cédant pas au montage roublard, sans pour autant se figer dans la pose ou l'exercice de style gratuit. |
On pourra être aussi frappé par la récurrence du thème des déviances familiales dans le nouveau cinéma mexicain : Les Filles d'Avril fait ainsi écho au récent La Région sauvage (Amat Escalante, 2016), sans céder toutefois à la veine fantastique, Michel Franco préférant présenter les dérapages de ses personnages dans le cadre d'un réalisme faussement rassurant, et traiter de façon naturaliste le thème de l'évolution des formes familiales. Il a ainsi déclaré : « Mon point de vue est que les relations ont énormément évolué au cours des dernières décennies et même des dernières années. Plus personne n'entend désormais la famille comme l'image du père, de la mère et des enfants qui vivront pour toujours heureux ensemble. Parfois ce schéma représente les pires enfers, là où les situations personnelles se révèlent les plus difficiles. Dans notre quête de nouvelle structure – ou plutôt dans notre nouvelle façon de nouer des liens – les relations se définissent de manière plus hasardeuse ou plus organique disons, et elles peuvent donner lieu à des manques ; par exemple ici, il s'agit de filles de pères différents et on ne sait pas trop à quoi elles pourraient se raccrocher ». Le point de vue de Michel Franco n'est pourtant nullement réactionnaire ou moralisateur ; en tout cas le film ne prône nullement un retour aux bienfaits de la « famille traditionnelle » (le dénouement en est la preuve) ; simplement Michel Franco joue sur les peurs inconscientes liées à l'évolution des mœurs pour mitonner un récit étouffant, dont les personnages (voire les spectateurs) ne sortiront pas indemnes. Il faut enfin souligner le jeu remarquable de l'actrice espagnole Emma Suarez qui confirme son immense talent, après sa prestation déployée dans Julieta (Pedro Almodovar, 2016). Gérard Crespo
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1h33 - Mexique - Scénario : Michel FRANCO - Interprétation : Emma SUAREZ, Hernan MENDOZA, Joanna LAREQUI, Enrique ARRIZON. |